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Henri Matisse, Eugène Delacroix, Jean Genet, Paul Morand, Joseph Kessel, Truman Capote, Jane et Paul Bowles, Samuel Beckett, Tennessee Williams, Jack Kerouac, Yves Saint-Laurent, les Rolling Stones : ils furent des dizaines d’artistes s’installant à Tanger tant la cité marocaine sut les séduire, les fasciner et inspirer ou bouleverser leurs oeuvres.
Le mythe de Tanger, c’est cette ville arabe, interlope et cosmopolite, dans son histoire fusionnelle avec des artistes qui l’ont transfigurée.
Survient, d’abord, la sidération. L’éblouissement depuis les terrasses de la Kasbah. Un panorama inondé de cette clarté singulière qui happait Matisse. Un paysage où s’amassent et s’emmêlent constructions anarchiques, linges flottants au vent, jeux d’enfants turbulents et appel désespéré du muezzin. Plus bas, là-bas, le grouillement de la foule, le bruissement des odeurs.
Puis, le regard se tourne vers la mer, devinant au loin les terres d’Espagne, sachant Mare nostrum s’y fiancer avec l’océan. Alors advient l’apaisement des sens, la méditation et la quiétude.
La contemplation aussi. Celle que partagent hommes et femmes, assis au bord des chemins dominant la mer ou attablés au réputé café Hafa. Leurs pensées semblent subjuguées par le ballet des navires et l’autre continent, rêvant peut-être de le rejoindre.
Plus tard naît la fascination. Pour la « Dream City » qui fit Paul Bowles y demeurer et mourir alors qu’il n’était que de passage.
L’envoûtement, c’est ce que distille Tanger l’ensorceleuse au gré des dédales du petit Socco, des sourires enjôleurs et des fantômes encore vivants qui se faufilent dans l’ombre. L’attachement est indéfectible pour cette ville sulfureuse et troublante, emplie de souvenirs, de traces du faste évanoui.
Jean Genet l’évoquait dans Le journal du voleur comme « Une sorte de tripot où les joueurs marchandent les plans secrets de toutes les armées du monde. ».
LE BEAU Y ABONDE
Ainsi est Tanger lorsque l’on s’y adonne. Bourdonnante et paisible, affolant l’appétence, mystérieuse comme une courtisane, continuellement entre deux rives.
C’est cette cité marocaine et cosmopolite, à la pointe du détroit, qui sut retenir des artistes de passage et leur imposer de demeurer et de créer dans ce tourbillon du proche et du lointain.
Eugène Delacroix y séjourna trois mois en 1832. Sa peinture, ses appréciations seront à jamais marquées par ce voyage. « Le sublime vivant court ici les rues » écrira-t-il dans ses carnets.
Parmi d’autres lui succéda Henry Matisse, en 1912, qui, dans la jubilation de ses découvertes esthétiques et techniques, décrivait : « Un lieu tout pour les peintres, le beau y abonde. La joie est dans le ciel, dans les arbres, dans les fleurs ».
L’un et l’autre y produisirent abondamment : 23 toiles et plus de 60 dessins pour Matisse.
Nombre d’autres peintres illustres vinrent ici, extasiés par la lumière, les couleurs chatoyantes, la méditation et le mystère tangérois.
« Je suis en ce moment comme un homme qui rêve et qui voit des choses qu’il craint de voir lui échapper. »
EUGENE DELACROIX, TANGER, 1832
LE MYTHE S’ÉCRIT
Quinze ans après Delacroix, Alexandre Dumas y débarquait. Il narra, dans Le Véloce, une chasse dans les terres et les fastes d’une noce juive dans la kasbah, comme le fit le peintre dans son journal. Mark Twain, en 1867, fut tout aussi subjugué par la ville chérifienne. Dans Le voyage des innocents, il écrivait : « Tanger est une ville étrangère s’il en fut jamais, et on ne peut trouver son âme véritable dans aucun autre livre que Les mille et une nuits. »
« Je vis poindre derrière une dune l’extrémité d’un long fusil, puis le capuchon d’un burnous, puis une tête bronzée, puis tout le corps d’un Arabe aux jambes nues. (…) Je n’avais jamais vu d’Arabe que dans les tableaux de Delacroix ou de Vernet, que dans les dessins de Raffet de Decamps. Cette représentation vivante du peuple africain, qui s’était graduellement dressée devant moi, et qui, s’arrêtant à mon aspect, se tenait à trente pas de moi, immobile, le fusil sur l’épaule et la jambe en avant, pareille à la statue du Calme, ou plutôt de la Circonspection, me produisit une impression profonde. »
ALEXANDRE DUMAS,LE VÉLOCE, TANGER, 1846
Pierre Loti accompagnant une ambassade, en 1889, la décrivit ainsi : « Un peu étrange encore cependant, et restée bien plus musulmane d’aspect que nos villes d’Algérie, avec ses murs d’une neigeuse blancheur, sa haute casbah crénelée, et ses minarets plaqués de vieilles faïences. C’est curieux même comme l’impression d’arrivée ici est plus saisissante que dans aucun des autres ports africains de la Méditerranée. » Il notait aussi, comme s’il augurait le destin de la ville: « Une grande quantité de touristes y viennent chaque hiver. Le sultan du Maroc a pris le parti d’en faire le demi-abandon aux visiteurs étrangers, d’en détourner ses regards comme d’une ville infidèle. »
« Ici, il y a quelque chose comme un suaire blanc qui tombe, éteignant les bruits d’ailleurs, arrêtant toutes les modernes agitations de la vie. »
PIERRE LOTI, TANGER, 1889
LA MÉTAMORPHOSE
Pendant ce temps, Tanger se transformait.
Occupée par les espagnols, les portugais et les anglais jusqu’au XVIIe siècle, elle devint, en 1923, une zone internationale affranchie de droits de douanes. En 1925, un traité conclu entre les grandes puissances en fit la première et unique ville administrée par un consortium de nations.
Ce statut lui permit de se développer frénétiquement, y compris en devenant une capitale des trafics douteux et de l’espionnage.
Au début du XIXe siècle, moins de cent européens vivaient à Tanger. En 1929, sur 60000 habitants, elle comptait 14000 étrangers, 15000 juifs et 30000 musulmans. En 1940, sur ses 80000 habitants, 1/4 étaient étrangers.
Dans cette cité qui s’occidentalisait, les commerces se parèrent d’ailleurs des mots du monde : Teatro Cervantes, Hôtel Rembrandt, Casa Pepe, Lisba Bar, Bijouterie des amants, Dean’s bar, Pension La connaissance, Ciné Goya, Grand café de Paris, …
L’écrivain Henri Amic, lors d’un second voyage en 1924, s’en plaignit : « Tanger ne ressemble plus à la pittoresque cité marocaine que j’ai visitée avec tant d’intérêt en 1878 ; c’est maintenant une ville cosmopolite. Les Espagnols, les Français et les Italiens y sont plus nombreux que les Marocains. » Paul Morand, en 1938, fut encore plus définitif : « Je n’aime pas beaucoup Tanger. C’est une personne officielle, une fiction diplomatique. Elle ne pousse pas de racines profondes dans la terre d’Afrique. » Il y vivra pourtant durant trois ans, dans les années 50, et y écrira Hécate et ses chiens.
LE FASTE
Paul Bowles la découvrit en 1931. A l’instigation de Gertrude Stein, il fit le voyage avec son compagnon d’études, le compositeur Aaron Copland. Ils avaient alors vingt ans. Dans son autobiographie, Mémoires d’un nomade, il délivrait ses premières impressions : « Si je dis que Tanger me frappa comme étant une ville de rêve, il faut prendre l’expression dans son sens littéral. Sa topographie était riche de scènes typiquement oniriques : des rues couvertes semblables à des couloirs avec, de chaque côté, des portes ouvrant sur des pièces, des terrasses cachées dominant la mer, des rues qui n’étaient que des escaliers, des impasses sombres, des petites places aménagées dans des endroits pentus, si bien qu’on aurait dit les décors d’un ballet dessiné au mépris des lois de la perspective, avec des ruelles partant dans toutes les directions. (…) La ville était propre et autarcique, une métropole en miniature dont la vie économique et sociale était figée dans un statu quo perpétuel, maintenu par l’administration internationale et une police d’une efficacité redoutable. »
A partir des années 40, Tanger devint, ainsi que pour sa femme Jane, port d’attache puis résidence. Ayant abandonné la musique, il écrira plusieurs dizaines de nouvelles et romans dont Un thé au Sahara.
«Tanger a tout donné à Bowles, les histoires de la médina et de la casbah, le petit théâtre de la rue, les amours, les escroqueries, explique Daniel Rondeau, écrivain-diplomate et auteur de Tanger et autres Marocs, mais Bowles lui a tout rendu: il a répandu l’imaginaire de la ville à un moment où elle déclinait.»
Tanger fut la demeure de Bowles durant cinquante années. Il y mourût à l’âge de 88 ans.
LES PLAISIRS INCERTAINS
Dans son sillage, les beatniks débarquèrent.
Jack Kerouac, William Burrouhghs, Allen Ginsberg y trouveront en cette fin des années 50 un paradis… et un enfer.
Kerouac s’étonnait « des bandes d’adolescents arabes en blue jean en train d’écouter du rock n’roll sur un foutu juke-box dans un endroit rempli de flippers, exactement comme à Albuquerque au Nouveau Mexique ou ailleurs ».
Burroughs y rédiga Le festin nu : « Depuis un an, je n’avais pas pris de bain, ni changé de vêtements. Je ne me déshabillais même plus, sauf pour planter toutes les heures, l’aiguille d’une seringue hypodermique dans ma chair grise et fibreuse, la chair de bois du stade final de la drogue. »
« Tanger n’est pas une ville, mais un amour. Comme un être humain, elle est en moi. Mes écrits lui doivent beaucoup et surtout mon esprit et mon cœur. »
JACK KEROUAC, TANGER, 1957
Après quelques temps de plaisirs incertains, d’harmonie factice et d’hallucinations collectives, les écrivains de la beat generation renoueront avec leurs démons, rêvant d’Amérique, se séparant encore et abandonnant Tanger.
Dans son journal, Allen Ginsberg décrivit le malaise qu’il partageait avec ses amis : « Hier au Socco, assis au café Fuentes au dessus de la rue pleine de passants arabes et de jeunes mal habillés, alors que Peter était allé passer une demi-heure au bordel, j’ai pleuré, pensant aux années de bonheur passées ensemble — sachant qu’à son départ mon sentiment de sécurité et d’unité me quitterait — mon sentiment de détermination dans la recherche de l’amour — car que rechercher maintenant ? J’ai trente-cinq ans, la moitié de ma vie est derrière moi, aucune route sûre ne s’ouvre devant moi, mais plusieurs choix possibles et aucun d’eux ne semble inévitable. »
LA DÉBAUCHE
Burroughs eut cette réponse à la question « Pourquoi Tanger ? » : « Pour les garçons et le haschisch ! »
C’est, en effet, cette plénitude et cette extase constantes qui troublait les artistes. Une impression de douce vie, de sexe facile, de farniente moral qui tétanisait tout un chacun.
Truman Capote le constatait dans ses Impressions de voyage, en 1949 : « Presque tout à Tanger est anormal (…). Le nombre est alarmant, ici, des voyageurs qui ont débarqué pour un bref congé ; puis s’y sont établis ; puis, ont laissé passer les années. Car Tanger est une rade, et qui vous enserre ; un lieu à l’abri du temps. Les jours glissent le long de vous, sans que vous les aperceviez plus que les gouttes d’écume sur une cascade. »
Le constat fut identique, et résolument actuel, chez Joseph Kessel dans son roman Au Grand Socco, consacré à Tanger : « Le soleil, les deux mers, la couleur des costumes arabes, les jolies ruelles de la ville ancienne, les beautés de la Kasbah, les mœurs faciles et aimables, tout cela fait croire à certains étrangers que la vie chez nous est détachée de tout souci, comme sur une île déserte. Et les gens restent, restent ici, sans travail, sans but. »
« Un lieu à l’abri du temps » , « les mœurs faciles et aimables » : ainsi peut-on saisir aussi une part de l’envoutement que provoquait Tanger. Jane Bowles y aima éperdument une jeune paysanne, Cherifa. Sans doute attirés par les corps et l’amour des garçons, Tennessee Williams, Truman Capote, et surtout Paul Bowles, Jean Genet ont contribué au sort interlope de Tanger. Les marins, parmi d’autres errants, aussi.
« J’ai beaucoup voyagé, mais mes pas avaient besoin d’un lieu pour m’y poser, écrire. Je n’ai pas rêvé meilleure place que le Grand Socco pour y laisser une part de moi-même. »
JOSEPH KESSEL, TANGER, 1952
Le cinéaste Moumen Smihi, évoquant ses souvenirs d’enfance à Daniel Rondeau, décrit cette ville devenue catin dans les années 50 : « Le ciné-Americano était à l’entrée du plus grand bordel méditerranéen, le Trou Ben Charki. Tout le pâté de maisons, une bonne dizaine de ruelles entièrement occupé par des prostituées. Il y avait des filles partout dans les rues. (…) Après les escaliers quand on était passé sous la porte andalouse, on tombait dans un décor à la Satyricon. Nous y traînions toute la journée, dans le flot des marins, venus de tous les pays du monde, d’Amérique, d’Italie, de Yougoslavie, de partout. Les hommes et les femmes s’embrassaient dans les rues, ils buvaient, fumaient du kif dans de longues pipes, ils couraient et draguaient dans tous les sens. Il y avait des scènes d’amour dans l’encadrement des portes. (…) Il y avait aussi une énorme mama juive, Rica, qui tenait un bain maure, habité par des travestis espagnols, les mariquitas. Ils vivaient en toute liberté dans le quartier, habitué à leurs allées et venues. »
L’OISIVETÉ
Comme le cinéma, Tanger devint une usine à rêves et à fantasmes.
Pépé le Moko aurait pu déambuler dans les ruelles de la kasbah. Fréhel y fredonner ses airs désespérés et Humphrey Bogart y trimballer l’amertume de Rick Blaine.
Outre les négociants, courtiers et autres banquiers et certainement à cause des marins, des putains, des voyous et des artistes, la ville attira de grandes fortunes. Elles trouvèrent ici un oasis propice à l’oisiveté et à la luxure et s’installèrent dans des palaces tels le Minzah, La Villa de France ou Le Continental, dans de magnifiques villas sur la vieille montagne ou dans la médina. Ce que fit Barbara Hutton, riche héritière américaine, en construisant un palais digne des mille et une nuits et en élargissant la rue afin que sa Rolls Royce put y circuler.
Des fêtes somptueuses colonisèrent Tanger, tout autant que les bars, cabarets, tripots et bordels. Echanges commerciaux, économie clandestine, argent coulant à flots de champagne, bals légendaires, femmes fatales, corps offerts au désirs, exotisme de pacotille : Tanger devint mythique.
Un mythe fondé sur une liberté autant excitante que sordide.
LE HASH
Tanger la libertine ne pouvait qu’attirer les rockeurs et les hippies. Selon Rondeau, « Tanger fut la capitale solaire de la rock génération, une escale entre le Mexique et le Népal ».
Comme Jimmy Hendrix, les Rolling Stones y firent un long séjour que raconte Keith Richards dans son autobiographie, Life : « La décision a été prise comme ça, sur un coup de tête : “Prenons la Bentley et filons au Maroc”. C’était début mars 1967. On avait du temps et la meilleure voiture au monde. (…) A Tanger, on a retrouvé Robert Fraser, William Burroughs, Brion Gysin, un ami de Burroughs appartenant au gratin londonien, et Bill Willis, un décorateur spécialisé dans les palaces d’exilés. (…) On l’appelait “Ahmed tête trouée” parce qu’il faisait si souvent sa prière qu’il avait un trou au milieu du front. C’était un bon commerçant. D’abord un thé à la menthe, ensuite une pipe. Il était branché sur la spiritualité : en te passant la pipe, il te racontait une aventure palpitante du Prophète dans le désert. Bon ambassadeur de sa religion, toujours joyeux, il pouvait aussi te rouler dans la farine sans hésiter. Il lui manquait des dents, mais son sourire était génial. Quand il commençait à sourire, ça ne s’arrêtait plus. Et il te regardait tout le temps. Et son hasch était exceptionnel, tu voyais couler des rivières de lait et de miel. Après quelques pipes, c’était presque comme si t’avais pris l’acide. Ahmed n’arrêtait pas d’aller et venir, il apportait des pâtisseries, des bonbons. C’était très difficile de repartir de là. On se disait : “Allez, encore une petite pipe rapide et après on fera autre chose”, mais on finissait par ne plus décoller. On pouvait y passer ses journées, ses nuits, voire sa vie. Et en bruit de fond permanent, le grésillement de Radio Le Caire ».
Roland Barthes, qui y vint à plusieurs reprises en 1969, ironisait sur cette colonisation cool dans Incidents : « Au petit Socco, en juillet, la terrasse est pleine de monde. Vient s’asseoir un groupe de hippies, dont un couple ; le mari est un gros blondasse nu sous une salopette d’ouvrier, la femme est en longue chemise de nuit wagnérienne ; elle tient par la main une petite fille blanche et molle ; elle la fait chier sur le trottoir, entre les jambes de ses compagnons qui ne s’en émeuvent pas. »
LE DÉCLIN
C’est dans ces volutes des paradis artificiels que Tanger vit s’évanouir les derniers feux de sa splendeur.
Pourtant, en 1947, le sultan Mohamed V y prononça un discours fondamental pour l’indépendance du royaume. Celle-ci fut décrétée en 1956. Cette année-là, Tanger perdit son statut international pour redevenir cité marocaine.
En 1961, Hassan II accèda au trône. Il n’aimait guère cette ville sulfureuse et rebelle. Le roi, méprisant la perle du détroit, la laissa s’étioler. La ville apatride perdit peu à peu de son lustre sans parvenir à s’accrocher au royaume. Elle demeurait fière de son histoire extraordinaire, rafistolant à grand peine les décombres de sa décadence.
Les cinémas fermaient les uns après les autres. Le superbe teatro Cervantes fut condamné à l’oubli. La Librairie des colonnes, phare littéraire qui vit passer les plus grands écrivains, se recroquevillait. Nombre d’hôtels, de bars et de bâtiments prestigieux n’étaient plus que des décatissures, vestiges fantomatiques d’une époque révolue, ornant une ville languide.
LES FANTÔMES
La présence étrangère s’étant amoindrie, les marocains purent reconquérir leur ville.
Et fut révélé ce que cachait le mythe de Tanger.
Le fantasme d’une ville rêvée, un rêve orientalisant dont les arabes n’étaient que des figurants. Ainsi que le déplorait l’écrivain Mohamed Choukri : « Quand je suis arrivé, il y avait deux Tanger : le Tanger colonialiste et international et le Tanger arabe, fait de misère et d’ignorance. (…) Parmi tous ceux qui ont parlé de la ville, ou écrit sur elle, beaucoup ne l’ont vue qu’à travers leurs chimères. Tous ceux pour qui Tanger n’était qu’un lupanar, une belle plage ou une maison de repos. »
« Tanger était une partie de plaisir pour les demi-solde du monde moderne. Ils sont descendus jusqu’aux Soccos pour une histoire d’amour, pour un chagrin, pour se faire oublier, pardonner ou consoler, par plaisir, pour la lumière, pour rien, par vice ou par nécessité. »
DANIEL RONDEAU, TANGER, 1985
LE RENOUVEAU
Femme fatale, Tanger était devenue belle endormie.
Contrairement à son père, le roi Mohamed VI comprit l’opportunité que représentaient la ville et son histoire. Le souverain a insufflé un développement touristique et économique fulgurant dans cette région, accompagné d’une urbanisation effrénée.
Délaissant l’ostentatoire Marrakech, un nombre croissant de personnalités et d’artistes ont fait de Tanger une villégiature. Dans leur sillage, des touristes s’en sont entichés et, comme Bowles, y sont demeurés.
Car la belle n’était qu’assoupie. Et ses trésors à peine enfouis.
Peu à peu, Tanger renoue avec son passé pour mieux gouverner son présent et augurer de son avenir.
L’anthropologue Michel Peraldi est convaincu du destin de la ville. « Le transnational, c’est ce qui excède le national, le déborde » affirme-t-il, « Une part de Tanger vit aujourd’hui dans un espace-temps transnational euro-méditerranéen ». Opinion confirmée par l’écrivain tangérois Lofti Akalay pour lequel «Tanger est la salle d’attente du Maroc».
En 1951, Rodolphe Maté réalise The Prince who was a thief, avec Tony Curtis. Tanger y est campée dans un décor hollywoodien, digne des Mille et une nuits, à l’aune des fantasmes qu’elle générait.
Cinquante ans plus tard, avec Loin, André Téchiné dessine une ville actuelle : « C’est en contrepoids à ce Tanger mythique que j’ai voulu filmer un Tanger résolument contemporain. Je me suis plus attaché au Tanger des rues d’aujourd’hui. » Pour lui, « Tanger était un point de condensation où existait la possibilité d’un croisement étrange entre des gens du Nord attirés par le Sud et des gens du Sud attirés par le Nord. Par ailleurs, Tanger est loin mais proche en même temps, c’est en Afrique, mais à seulement une vingtaine de kilomètres de l’Europe. Il y avait l’idée du bord, de la bordure, de ce qui est le plus lointain dans le proche, ou le plus proche dans le lointain. Et puis Tanger est traversée par plusieurs langues, l’anglais, l’arabe, le français, l’espagnol et même l’africain… »
En arabe, Tanger est nommée Tanjah : « La terre rapportée »…
Le mythe de Tanger (Le Monde – 2009)
Sur la Beat Generation à Tanger
Sur les traces de Delacroix à Tanger